Wille-zur-Macht

La volonté de puissance

Jeudi 16 septembre 2010 à 20:15

Incertitude et perplexité: ces mots clés traduisent, à mon avis, l'état émotionnel de la majeure partie de ceux qui ont vu Inception. Et il ne faut pas l'attribuer aux péripéties complexes qui sèment le chaos dans l'esprit des spectateurs (à condition de ne pas se laisser distraire par son pop-corn ou sa petite amie, un spectateur sur deux peut comprendre ce qui se passe). Il s'agit plutôt d’un sentiment obsédant de légère confusion et de vide intérieur suscité par l'ensemble des aventures, ce qui est le résultat recherché par les auteurs du film, résultat au nom duquel ont été dépensés 160 millions de dollars, plus 100 millions de dollars pour sa promotion. Un autre mot important est Hollywood. Mais la difficulté principale, sinon l'ingratitude, à laquelle se heurte chaque critique d'un film hollywoodien à gros budget (surtout d'un blockbuster), est que sa critique perd tout sens au regard des 160, 100... Le succès des films Inception, Avatar, Le choc des titans, etc. repose entièrement sur la sécrétion d’adrénaline chez le spectateur, c'est-à-dire que, si même vous n'avez pas compris en quoi consiste la catharsis dans les circonstances collatérales de l'agent Cobb, ou si vous avez perdu le fil de l’histoire à un moment donné, vous aurez quand même votre dose de chatouillements agréables dans le diaphragme à la vue des destructions massives et vous serez impressionnés par la force d'un grand amour.
Il convient de mentionner un détail très important: l'histoire racontée par Nolan a été filmée bel et bien dans l’esprit du temps : aussi bien les problématiques que les images le confirment. L'humanité vit dans un sentiment de relativité générale depuis l'époque d'Einstein (en fait bien sûr depuis Hamlet) et cette forme culturelle est une des préférées dans la sphère " un peu plus élevée que l'underground " durant toute la deuxième moitié du XXème siècle. Le réalisme mystique de Cortazar, Borges et Marquez s'est déplacé inexorablement dans la cinématographie pour s'incarner dans Matrix (étalon du genre), bien que les films dont les protagonistes mettent en doute la réalité soient maintenant assez nombreux (le premier qui me vient à l’esprit en rapport avec Inception est Vanilla Sky).
De même que le thème post-nucléaire et les odyssées spatiales, le thème " rien n'est réel " fait désormais partie du " mainstream " et nous devons en remercier Christopher Nolan (seulement par convention).
Le célèbre thème du rêve, devenu toutefois assez banal, a également joué son rôle infaillible. Il a cependant été présenté cette fois-ci de façon très originale pour Hollywood, et il est agréable de constater que les rêves n'ont pas été interprétés dans un esprit pseudo-freudien. Bref, un mélange original de déjà-vu constitue la trame d'Inception.
Quant au style, il convient de citer parmi les " mérites " du réalisateur le fait qu'il ait opté pour le bon vieux 35 mm, bien que le 70 mm lui aurait rapporté encore plus, mais les principes du réaliste ont prévalu sur l’appât du gain.
En ce qui concerne les effets spéciaux, leur conception n'est pas non plus très originale: tout repose sur le principe consistant à réfracter la gravitation dans l'espace réel et seule la formulation novatrice de l'intrigue sauve la situation.
Les protagonistes, des néo-aventuriers, se déplacent sans entraves dans les quatre dimensions, sans parler de leur capacité de se retrouver dans un même rêve et d'y accomplir leurs missions réelles, tout cela s'accompagnant des procédés classiques des blockbusters américains: tirs monstrueux d’armes de tous calibres (les personnages principaux sont d'ailleurs inatteignables), poursuites en voiture à travers la ville, distorsion du temps, etc. Mais il faut rendre son mérite à ce film : c'est une des rares œuvres dotées au moins de la conception générale des effets spéciaux qui dépend directement de la dynamique et de l'idéologie du sujet.
Chaque nouveau film d'Hollywood doit avoir son grain de sel, sa solution absolument originale. Aussitôt que Cobb et son équipe entrent dans leurs rêves réciproques, ils ont immanquablement sous la main une petite malle nickelée contenant un appareil pour l’immersion. En voyant l'injection dans une veine d'un super-liquide entraînant des métamorphoses, les spectateurs initiés auront l'illusion d'une dépendance narcotique, ce que confirme éloquemment le film. On peut citer l’épisode du recrutement du nouvel " architecte " de l'équipe: après la première piqûre, la jeune fille épouvantée s'enfuit, mais elle revient tout de suite, en partageant l'avis de son nouveau collègue que l'expérience acquise ouvre de nouveaux horizons ... (quelque chose dans ce genre) ; les participants au culte postmoderniste ne peuvent plus avoir de rêves normaux.
Il faut dire que cette tendance à voir la toxicomanie passer d'un film à l'autre (même sous une forme métaphorique) entre massivement dans l'esthétique de la cinématographie.
Venons-en aux acteurs. A vrai dire, Leonardo DiCaprio, dont l’emploi du temps est rempli jusqu'à 2012, n'a franchement pas émerveillé... Son seul mérite qui vaut d'être mentionné est d'avoir accepté le rôle à condition de modifier le scénario en faveur du sujet principal, ce qui a eu un impact positif non seulement sur Leonardo DiCaprio, mais aussi sur le film dans son ensemble qui est devenu en quelque sorte dramatique du point de vue théâtral.
Il convient de citer l'imposant Ken Watanabe qui s’est bien s'acquitté de sa tâche et dont les yeux bridés tantôt pétillent, tantôt expriment la férocité du samouraï et qui s'inscrit harmonieusement dans le coloris émotionnellement inégal des péripéties du sujet, d'autant plus que l'abondance de gros plans (même dans les scènes d'action) lui donne un espace de réalisation. Passant outre certains personnages, notamment ceux incarnés par Gordon-Lewett légèrement raffiné (Arthur) et par Ellen Page inexpressive (Ariadna), il convient de souligner la métamorphose de Cillian Murphy, dont les mimiques d'un homme un peu déséquilibré, à l'instar de celles de Steve Buscemi, n'ont pas justifié ses choix d'acteur. Interprétant la victime d'une fraude fantastique, le personnage de Murphy montre obstinément qu'il est conduit par autrui, alors qu'on attend de lui qu'il se présente au moins sous le masque d'un épouvantail lorsque le scénariste lui accorde la liberté de faire un choix conscient.
Un point joue un rôle de première importance dans le cinéma américain et il faut en tenir compte tout particulièrement. C'est, bien entendu, la musique du film et je ne m'y attarderais pas s'il ne s'agissait de Hans Zimmer, auteur de la musique d’Inception, coryphée reconnu du cinéma commercial, un des grands maîtres de la musique. Avant d'aller voir le film, j'espérais sortir de la salle de cinéma en fredonnant la chanson thème du film le reste de la journée. Aussi étrange que cela paraisse, je n'ai pu me souvenir d'aucun motif, si ce n’est la légendaire chanson " Non, je ne regrette rien " d'Edith Piaf. La musique qui retentit dans le monde des rêves multiples, d'une part, s'efface tellement derrière les images que je plains le compositeur qui avait fait pleurer une génération d'enfants qui regardaient un petit lionceau jaune. D'autre part, la musique atmosphérique facile à retenir est toujours un compagnon fidèle du grand succès et, par conséquent, des films destinés au grand public. C'était le cas de la saga Pirates des Caraïbes: sa musique héroïque et patriotique qui est devenue célèbre indépendamment du film survivra à Jack Sparrow. La musique d'Inception n'est pas grandiloquente, elle ne prétend pas à ces lauriers, ce qui est, à mon avis, son principal avantage. Elle crée un mystère en influant sur le subconscient qui occupe la place principale dans le film. Les sons électroniques choisis par Zimmer au lieu de l'immortel orchestre symphonique traduisent on ne peut mieux l'abstraction et la relativité des mondes illusoires d'Inception.
En ce qui concerne la réalisation, quoi qu'on dise à propos du film Inception, il est impossible de ne pas souligner la contribution apportée par Christopher Nolan en tant que réalisateur. Il a écrit lui-même un scénario original en comparaison avec les comédies familiales reprenant des clichés dont on est las ou avec les thrillers aux sujets historiques et mythiques réalisés de façon incompétente mais talentueuse. Même s'il ne brille pas par des solutions techniques exceptionnelles et que la composition en boucle dont la fin reste ouverte représente pour lui l’intrigue par excellence porté sur grand écran, on ne peut pas le lui reprocher. Nolan a certainement créé un étalon et on peut imaginer combien de films semblables à Inception sortiront sur les écrans les cinq prochaines années.
Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

 
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